Les CHU sont le lieu de la transmission, vu que les universitaires y encadrent les jeunes en herbe. Ce sont les lieux des gestes difficiles, des patients graves, des actions coordonnées, des discussions interdisciplinaires...
Ce sont les chefs-lieux de la médecine partout dans le monde. Chacun de nous est redevable à ses maîtres, chacun de nous a une famille de c'ur, chacun de nous a une appartenance à un service, une équipe, un hôpital, une faculté, une spécialité. Chacun de nous a un mentor, une mère ou un père spirituel. Chacun de nous, en devenant universitaire, devient lui-même tout ça pour la génération d'après.
Les apprenants dépendent au début des maîtres pour devenir de plus en plus indépendants au fur et à mesure de l'apprentissage, devenant eux-mêmes ceux qui épaulent les plus jeunes. C'est une boucle de transmission où chacun apporte un élément : l'expérience, l'expertise, le sang neuf, les rêves et l'innovation.
Crise de transmission et responsabilité collective
Je sors meurtrie de cette dernière crise sanitaire. Ma génération a échoué à transmettre beaucoup de valeurs, dont l'art de l'échange, la responsabilité, le respect, l'empathie et l'engagement. On a heureusement des cadets d'une grande qualité morale, éthique et scientifique, mais on voit aussi d'autres moins responsables.
Le rôle de la réforme des concours et des carrières y est pour beaucoup, avec des absences répétées des jeunes seniors, un cursus qui ne les oblige plus à bouquiner, des concours sous forme de pièces de théâtre plus que d'une évaluation claire de l'art oratoire, un CV qui compte plus que le savoir-être et le savoir-faire' une réforme qui a coupé beaucoup de jeunes seniors de leurs cadets.
Nos hôpitaux n'ont ni cahier des charges, ni normes de travail. Ils fonctionnent grâce à l'engagement de toutes et de tous malgré toutes les difficultés. Une pièce manque, et tout s'arrête, ou presque.
Les seniors sont pris entre le sanitaire, la transmission au lit, la faculté, le ministère, les congrès, les réunions, la recherche' et beaucoup de tâches qui devraient incomber à des praticiens hospitaliers sont assurées par les cadets en apprentissage. C'est un point aussi bien fort que faible de notre système. Nos cadets mettent la main à la tâche sous la supervision d'un aîné. Ailleurs, ils sont observateurs. Ils prennent de l'expérience dans la souffrance. Mais la souffrance est notre quotidien, nous absorbons la douleur des autres, aussi bien morale, que sociale, que physique. Vivre avec est un apprentissage en lui-même pour apprendre la résilience.
Ainsi, ne peut faire médecine qu'une personne qui a de l'empathie, généreuse, volontaire, résiliente, forte et engagée. Améliorer les conditions de travail est une demande ancienne qui revient à la surface à chaque moment difficile, mais même les manifestations de colère ont un cadre et des limites. Laisser les services aigus avec juste les seniors pour assurer toutes les tâches, des plus primaires aux plus difficiles, était une décision grave et un moment de non-retour.
Le besoin vital d'une réforme structurelle
On a fait de la médiation pendant toute la durée de la crise, dans le silence pour ne pas avoir de remous, en essayant de rapprocher au maximum les points de vue, mais à un moment on ne savait plus quoi faire. C'était le mur du tout ou rien. On a assuré nos gardes sur place, et on n'en est pas morts, mais quelque chose en nous est mort, et pour longtemps : notre foi !
Nous n'avons pu arracher aucun compromis, ni réveiller le sens des responsabilités, ni obtenir la moindre reconnaissance'
Le fonctionnement des hôpitaux doit être revu, l'éthique doit être plus présente, le sens des responsabilités doit être une exigence, et ce pour tous les soignants. Les aînés sont les premiers responsables, et c'est à eux de tracer les chemins, d'être présents, de veiller au grain. Les jeunes sont notre avenir et doivent apprendre, travailler dur pour prendre la relève. Ils ne doivent pas être seuls aux urgences, ni ailleurs, s'ils n'ont pas encore assez d'expérience. La séniorisation des gardes est l'une des urgences, mais une amélioration des conditions est primordiale pour en parler.
Le sentiment d'abandon, d'impuissance, d'inefficacité dans toutes les démarches qu'on a dû suivre me laisse un goût amer et une lassitude sans limite. Lassée de faire mille choses, de défendre les jeunes et les moins jeunes, de courir pour des enseignements, d'encadrer, de corriger, de former, de rappeler à l'ordre les moins engagés, de régler des problèmes qui n'en sont pas, de combattre les égos et de chercher des solutions pour tout et pour tous. Et après, même pas une reconnaissance, même pas un compromis, même pas le respect !
À la fin de cette crise, un plan de sauvetage urgent est nécessaire, mais plus que jamais, une réforme des carrières et des concours pour sauver les soignants d'eux-mêmes, et un test psychotechnique pour être admis dans les structures d'enseignement des sciences sanitaires. J'en sors meurtrie, désabusée, vidée et extrêmement déçue, une partie de ma lumière s'est éteinte, et pour longtemps !
*Professeure au service des maladies infectieuses à la Rabta
Posté Le : 06/07/2025
Posté par : infos-tunisie
Source : www.businessnews.com.tn