Algérie

Dix ans après l'assassinat de Chokri Belaïd, le doute plane encore sur les islamistes


Il y a dix ans jour pour jour, nous quittait Chokri Belaïd, farouche opposant des islamistes. La Tunisie se réveillait à peine et l'avocat et politicien venait tout juste de quitter son domicile pour s'installer à bord de son véhicule quand l'assaillant l'a criblé de balles.
L'attaque perpétrée le matin du 6 février 2013 va, à jamais, transformer un paysage politique déjà mouvementé. Elle a précipité la Tunisie dans une crise qui a ébranlé les islamistes fraîchement installés au pouvoir. Regards et doigts accusateurs se sont, d'ailleurs, vite tournés vers Ennahda et plusieurs de ses dirigeants, en premier, Ali Larayedh, alors ministre de l'Intérieur puis chef du gouvernement en remplacement de Hamadi Jebali.
L'ombre du doute plane encore sur les islamistes. Les investigations toujours en cours n'ont pas écarté la responsabilité de Rached Ghannouchi et ses acolytes dans cet acte lâche et funeste, mais n'ont toujours pas inculpé Ennahdha. Les révélations du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi retentissent, mais notre justice reste dans l'impasse ravivant chaque année des souvenirs empreints d'amertume et de consternation.

Ce n'est que lundi 6 février 2023, dix ans après les faits et un an après les promesses formulées aux frère et père de Chokri Belaïd, par le président de la République Kaïs Saïed de révéler toute la vérité, que le ministère de la Justice s'est décidé à se mobiliser. Leila Jaffel a ordonné, selon un communiqué de son département, la création d'une commission spéciale pour le suivi des affaires des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. La commission sera supervisée par la ministre elle-même et aura pour mission d'identifier et sanctionner tous ceux qui ont entravé le cours de la justice en dissimulant des preuves ou en exerçant une influence sur le déroulement du processus judiciaire.
Leila Jaffel a, également, autorisé une mission d'audit judiciaire et administratif des dossiers y afférents.
Cette décision intervient au lendemain du communiqué publié par le parti Al Watad dénonçant l'inaction de la justice et du pouvoir en place alors qu'ils ont attesté de la fin des pressions qu'exerçait le mouvement Ennahdha sur le pouvoir judiciaire. Le parti a salué, dans ce sens, les efforts du comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi et l'avancée remarquable dans la collecte de preuves.

Lors de sa toute dernière conférence organisée à Genève en novembre 2022, le comité de défense a communiqué des éléments accablants contre l'un des dirigeants d'Ennahdha ; l'un des faucons du parti, Habib Ellouze. Celui-ci a été accusé et le juge Béchir Akremi d'avoir assisté l'un des principaux accusés dans l'affaire de l'assassinat de Chokri Belaïd : l'imam Chokri Ben Othman de la mosquée Errahma à Cité El Khadra où les préparatifs et plan d'assassinat de Belaïd ont été exécutés. A l'origine de la fatwa appelant à assassiner Belaïd, cet imam avait accueilli et assisté les autres accusés ; Yasser Mouelhi, Mohamed Ali Dammak, et le présumé assassin de Chokri Belaïd, Kamel Gadgadhi tué en plus de six autres terroristes en 2014 dans une opération à Raoued.
Béchir Akremi est, lui, le même juge d'instruction dont la désignation sur l'affaire a été fortement contestée par le comité de défense. Largement controversé, Béchir Akremi aussi connu comme étant le juge d'instruction n°13 avait été, au début des investigations, nommé procureur général de la République et avait été, ainsi, placé sous les ordres du ministère public. Béchir Akremi a, selon le comité de défense, entendu l'imam Chokri Ben Othman en tant que témoin et l'a laissé en liberté alors que les preuves étaient contre lui.
Béchir Akremi a, rappelons-le, été suspendu en juillet 2021 après avoir été épinglé par le comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi. Selon le comité de défense, Rached Ghannouchi en personne serait intervenu dans une tentative de blanchir le juge controversé.
Le dirigeant nahdhaoui Habib Ellouze a, lui, été interpellé en septembre 2022, à son domicile à Sfax, par l'unité antiterroriste d'El Gorjani. Il a été entendu dans le cadre d'une autre affaire, celle de l'envoi des jeunes au djhad dans les zones de conflit, puis relâché.

Une autre révélation du comité de défense concerne, elle, l'appareil secret d'Ennahdha et le dénommé Kamel Bedoui qui en faisait partie. L'appareil secret d'Ennahdha est une sorte de police secrète parallèle composée de civils, de policiers et d'anciens militaires. La structure serait dirigée par Mustapha Khedher, ancien militaire jugé dans le cadre de l'affaire de Barraket Essahel. Son arrestation en décembre 2013 a fait éclater au grand jour l'affaire de l'appareil secret d'Ennahdha et des suspicions sur l'implication de ce réseau dans plusieurs autres affaires dont les assassinats politiques, des attentats terroristes et de blanchiment d'argent.
Kamel Bedoui faisait partie, selon le comité de défense, de cet appareil. Il a été la première personne que Mustpaha Khedher a appelée lors de son arrestation dans le cadre des investigations sur l'assassinat de Chokri Belaïd. M. Bedoui est un retraité de l'armée nationale et le chef de la garde rapprochée de Rached Ghannouchi.

D'autres révélations devraient être annoncées au public le mercredi 8 février. Le comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi entend organiser une conférence pour commémorer l'assassinat de Chokri Belaïd et, par la même occasion, communiquer de nouveaux éléments probablement fracassants, dans l'espoir de faire avancer une enquête qui titube depuis dix ans.
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