
Nous sommes le 26 octobre 2014. Nous étions 3,579 millions d'électeurs à partir, ce jour-là, vers les urnes pour choisir 217 députés parmi 15.652 candidats répartis sur 1500 listes dans 33 circonscriptions. La tension, ce jour-là, était à son paroxysme entre les deux camps qui s'opposaient à l'époque : les pro-troïka et les anti-troïka. Depuis 2011, c'était le seul et unique maitre mot en Tunisie, nous étions divisés en deux et cette division était nette.Pour le commun des mortels, les premiers représentaient le conservatisme religieux et la haine farouche contre l'ancien régime. Les seconds représentaient le modernisme et la volonté d'aller de l'avant. C'était là l'idée générale qui envahissait les esprits.En réalité, et dans le fond des choses, rien de tout cela n'est vrai. Les premiers n'étaient pas vraiment archaïques, revanchards et guerriers, comme on les dessinait et les seconds n'étaient pas vraiment ces modernistes constructifs et pacifiques. On ne le saura que plus tard, si on le sait déjà.Dans le premier camp dit des archaïques, il y avait grosso modo Ennahdha, le CPR, Attayar, Ettakatol et Wafa. Dans le second dit des modernistes, il y avait grosso modo Nidaa Tounes, l'UPL, Afek, Al Joumhouri, le Front populaire et Al Massar.Le suspense était à son comble et l'on était tous impatients de connaitre les résultats. Les dits modernistes se tournaient vers les instituts de sondage, à l'instar de ce qui se fait dans les grandes démocraties des pays développés. Les autres attendaient que l'ISIE (Instance supérieure indépendante des élections) veuille bien donner un quelconque indicateur. C'est autour de 20 heures et grâce aux chaînes Nessma, Al Hiwar et Al Wataniya d'un côté et des instituts de sondage de l'autre que l'on pouvait avoir les premières tendances « sorties des urnes », comme on l'aurait vu dans n'importe quelle démocratie. C'est le camp des modernistes qui l'emporte (et sans conditionnel SVP), disent-ils en ch'ur. De quoi mettre en colère les membres du premier camp, dit des archaïques, qui démentent catégoriquement les résultats de ces « instituts amateurs ». On se rappelle encore des vociférations de Tarek Kahlaoui et du visage arrogant de Samia Abbou quand ils criaient que ces instituts tunisiens ne bénéficient d'aucune crédibilité et qu'il s'agissait d'une man'uvre manipulatrice d'inféodés à l'ancien système. On en voulait notamment à Sigma (dont les résultats s'avèrent être par la suite aussi précis qu'une montre suisse) qu'on accusait de tous les maux. A cet instant, on assistait à la manifestation suprême de l'archaïsme avec des politiques qui mettent en doute le travail d'instituts tunisiens élaboré par des Tunisiens, juste parce que ce travail leur était déplaisant. Plus mauvaise foi que ça, tu meurs. Après avoir tout fait pour exclure leurs adversaires politiques de la participation aux élections, par des projets de lois créés sur mesure, ces « archaïques » continuaient à empêcher par tous les moyens le déroulement ordinaire du jeu démocratique qui comprend, entre autres, la diffusion des sondages sorties des urnes et la libre expression des médias.Après avoir eu raison des médias à qui on a imposé, par le biais du code électoral, une neutralité qui n'existe nulle part dans le monde, les archaïques voulaient faire taire les instituts de sondage. Ce 26 octobre 2014 sera un échec fatal. Le camp dit des modernistes obtiendra quelque 1,7 million de voix (tous partis confondus), alors que le camp dit des archaïques peinera à atteindre les 1,3 million de voix. La même tendance est observée, deux mois plus tard, à la présidentielle avec la victoire du « vieux » Béji Caïd Essebsi représentant, paradoxalement, les modernistes face au « jeune » Moncef Marzouki représentant les revanchards archaïques. Autre paradoxe de ce 26 octobre, Béji Caïd Essebsi est issu de l'ancien système despotique, mais il a bien su jouer le jeu démocratique dans les faits en ce 26 octobre. Moncef Marzouki, en revanche, a un passé glorieux en militantisme démocratique, mais il a pu prouver tout le contraire dans les faits. D'ailleurs, son parti et lui-même ont été les plus accusés de man'uvres de triche et de fraude à ces élections. Le résultat est là, les dits archaïques ont échoué. Malheur aux vaincus, disaient les modernistes en festoyant ce 26 octobre 2014 historique. Un an plus tard, la déception est sur tous les visages. Les premiers continuent encore à pleurer leurs élections perdues, les seconds sont désabusés ne sachant plus quoi faire et à quel saint se vouer.Nous sommes le 26 octobre 2015, le secrétaire général de Nidaa Tounes (représentant les dits modernistes) est à Washington. Coïncidence, pour ceux qui croient aux coïncidences en politique, le président d'Ennahdha (représentant les dits archaïques) est également à Washington. Mieux, le premier est accompagné, dans son voyage, par un lobbyiste connu pour avoir travaillé de très près avec le second.A Tunis, les dits modernistes travaillent main dans la main avec les dits archaïques au nom de la réconciliation nationale. Une réconciliation qui nous a évité une guerre civile et nous a valu la plus prestigieuse distinction, le Nobel de la Paix. Un an après, on en est à nous interroger à quoi ont servi les élections. On regarde autour de nous et on constate qu'on a tout changé pour que rien ne change. Le terrorisme qu'on disait provisoire, il y a un an, perdure. La pauvreté que les affiches publicitaires de l'agence Karoui disaient provisoire, perdure encore. Tout comme la saleté, tout comme l'idiotie, le clientélisme et l'arrogance des politiques.On critiquait les dits archaïques d'avoir nommé des incompétents dans les ministères et l'administration et on constate, un an après, que les dits modernistes ne savent pas faire autre chose, finalement.A l'intérieur des partis des dits archaïques, il y avait des camps qui s'entredéchiraient. Au CPR, on avait les camps Abbou, Daïmi, Ayadi et Hmila. A Ennahdha, il y avait les camps Jebali, Laârayedh, Mekki et Ghannouchi et à Ettakatol, il y avait plus de camps que de membres. Un an plus tard, on assiste à une guerre de tranchées entre les camps Caïd Essebsi Jr et Marzouk, pendant que les camps destouriens, syndicalistes et de gauche affutent leurs armes au cas où ils entreraient dans la bataille.Pendant ce temps-là, dans la vie réelle, l'économie bat sérieusement de l'aile, les entreprises s'apprêtent à mettre la clé sous la porte, les hôtels annoncent les fermetures les uns derrière les autres et l'on s'attend à une véritable explosion des chiffres du chômage.Un an après, on se rend compte que, comme dans les démocraties avancées, les politiques sont tous pareils. Les dits modernistes s'avèrent être aussi rétrogrades que les dits archaïques et aucun n'a de baguette magique. Quant à leurs promesses, elles n'engagent que ceux qui les écoutent, comme partout dans le monde. Electeurs, allez vous rhabiller, votre vote est inutile ! Déçus et résignés par leurs hommes politiques, les Tunisiens s'intéressent de plus en plus à ce qui se passe ailleurs. En Syrie précisément. Les héros des Tunisiens qui les font rêver ne s'appellent ni Rached Ghannouchi, ni Mohsen Marzouk, ni Hafedh Caïd Essebsi, ni Moncef Marzouki, ils s'appellent Bachar El Assad et Vladimir Poutine. Ah ce qu'il est charismatique le Poutine, ah ce qu'il est patriote le Assad ! Sigma devrait voir la popularité de ces deux-là auprès des Tunisiens, le résultat sera cinglant pour les politiques tunisiens et l'expérience démocratique tunisienne.Quatre ans après les élections « naziha » et « chaffeffa », un an après les élections démocratiques, les Tunisiens n'ont de c'ur et d'espoir que pour deux dictateurs.
Posté Le : 26/10/2015
Posté par : infos-tunisie
Source : www.businessnews.com.tn