
De retour au centre-ville de Tunis, quel bonheur ! Après avoir été mis en banlieue depuis 26 ans, je vais enfin revenir, avec mon cavalier, à ma place originelle. Quand les gens monteront dans leurs taxis, ou quand ils se donneront rendez-vous, ce ne sera plus à la « Monguela » (la montre), mais à la « samba » (la statue). D'ailleurs, je me demande ce qu'il adviendra de cette grande montre 'Cette grande montre qui avait servi en 2012 aux salafistes et aux barbus de faire des coucous à la fenêtre du ministre de l'Intérieur de l'époque, qui ne s'en est d'ailleurs pas offusqué. Il est quand même lourd ce Bourguiba que je porte depuis des décennies. Son héritage l'est encore plus. Il est vrai qu'il n'a pas fait que de jolies choses mais il faut bien avouer qu'il a bâti une nation. Il est vrai qu'il s'est quelque part accaparé le mérite de la lutte de libération, mais il a construit des écoles un peu partout. Daghbeji, exécuté un certain 1er mars, aurait mérité lui aussi une statue à Tunis, même à dos de chameau' Avec Habib Bourguiba on revient au centre du « jeu ». On sera proches des lieux de conférences. Comme ça, tous ceux qui vont se réclamer de lui auront le loisir de le voir juste à la sortie de l'hôtel. Il n'y a jamais eu autant de Bourguibiens en Tunisie ! Tous se disent ses héritiers et tous parlent de « poursuite du courant réformiste tunisien ». Pourtant, quand Bourguiba était jeté dans une maison à Monastir, ses héritiers ne se bousculaient pas au portillon. Ses héritiers « militaient » à cette époque au Qatar ou depuis la présidence de la Chambre des députés... J'ai entendu certains critiquer notre retour au centre-ville. Ils n'hésitent pas à insulter Habib et sa mémoire en disant qu'il n'est qu'un mythe, une statue de plus. Ils disent aussi que le gouvernement actuel cache son échec en nous faisant revenir au centre-ville. Le gouvernement est peut-être en échec effectivement, mais ce n'est pas le peuple de Bourguiba qui risque d'oublier sa misère et ses conditions de vie difficiles parce qu'on lui a remis une statue on ne sait où. Ceux qui disent cela prennent vraiment les Tunisiens pour du bétail' Le fait est que le symbole fait peur. Le symbole Bourguiba reste vivant même si l'homme est parti depuis longtemps. Il détestait les islamistes, n'était pas d'accord avec les nationalistes et trouvaient les gauchistes anachroniques et dépassés. Des postures reprises par ses héritiers, sauf en ce qui concerne les islamistes. C'est vrai qu'il n'était pas démocrate, mais pouvait-il l'être ' Les historiens et les politologues en jugeront. Ce que moi je retiens, c'est qu'à la mort de Bourguiba, beaucoup de Tunisiens ont pleuré sincèrement. Ça veut quand même dire quelque chose. On en a fait du chemin ensemble, moi et Habib. On en a vu des choses et on en a affronté des difficultés. Là où il est, il peut être fier de ce qu'il a accompli. Mais le connaissant, il doit aussi pleurer souvent. Il doit pleurer quand il voit que des civils sont tués par des terroristes, paix à l'âme de Mabrouk Soltani. Il doit pleurer quand il voit une partie de son peuple se bousculer pour accéder aux services d'un devin. Il doit pleurer quand il voit des policiers regroupés à la place de la Kasbah en train d'insulter le chef du gouvernement et de forcer l'accès au palais. Il en a versé des larmes depuis plus d'une vingtaine d'années. Le 20 mars prochain, on revient au centre-ville. Lui et moi, nous ne formons qu'une statue, on ne pourra rien faire. Mais peut-être qu'en nous voyant là-bas, certains se rappelleront et d'autres auront honte de ce qu'ils font et de ce qu'ils disent.
Posté Le : 02/03/2016
Posté par : infos-tunisie
Source : www.businessnews.com.tn